Aller au contenu
Franz Jacob, l’authentique barbier de Rouyn-Noranda
Crédit: David Afriat

À la veille du Festival de Musique Émergente en Abitibi, je suis allé prendre une bière avec l’un des émissaires de la belle région d’Abitibi-Témiscamingue, soit le barbier Franz Jacob qui a ouvert le salon Authentischen Barbier dans la ville minière et culturelle de Rouyn-Noranda. Lors de son bref passage à Montréal nous avons trinqué au Yer’Mad sur Ontario, moi une blanche et lui une noire « dans le plus vieux et sale verre de la place SVP».
 

Crédit : David Afriat

 
Habillé de son costar, cravate et souliers lustrés, je lui demande s’il s’habille ainsi tous les jours. «Ça fait partie du lifestyle du barbier, c’est comme ça que ça marche. Tu peux pas arriver avec des jeans et un t-shirt pour couper des cheveux. Il faut un minimum de standard, m’explique Franz. Je ne suis pas un personnage, je suis vraiment de même.»
 
Pour lui, la coupe de cheveux et l’art du «barber» old shool vient avec certaines responsabilités et avec une éthique qui lui est propre.
 
«Ça fait 30 ans que je coupe des cheveux. J’ai commencé à 12 ans et j’en ai 44 maintenant. Me faire couper les cheveux par un barbier funky de Val d’Or à 12 ans a été une révélation.»

Avec le rasoir de la maison, le jeune Franz s’est mis à couper les cheveux de ses deux frères. Il a ensuite amené son rasoir à la polyvalente. Durant tout le long de son secondaire, il a coupé des cheveux dans le local de la radio étudiante.
 
«Je chargeais 5$ et rasais tous les cheveux des punks et des skinheads. La coupe undercut (long sur le dessus, rasé sur les côtés) que tout le monde a maintenant, ben elle existait en 87 et 88. J’en faisais tout le temps.»
 
La clientèle de Rouyn?
 
La clientèle de Franz est vraiment diversifiée en termes d’âge, de 3 à 96 ans, le barbier accepte tous les hommes. Son plus vieux client est même un ancien collègue combattant qui a connu son propre défunt grand-père. Il y a même une énorme affiche les représentant sur une vielle carte postale de l’époque, agrandie et affichée dans le salon de Franz.
 
«C’est une place de gars. Les jeunes découvrent un nouveau monde.  Leurs pères rient comme ils ne rient pas à la maison. Ça sent le scotch, l’aftershave et il y a du rockabilly qui joue sur mon tourne-disque.»
 
Les vinyles, c’est aussi important pour Franz. Ancien DJ et junky de vinyle, il aime créer une ambiance très «sale» à l’intérieur de son barbershop pour créer une aura. «Avec le rockabilly et le punk, tu peux pas dissocier la musique de ces coupes de cheveux-là. Ça va ensemble. Le décor aussi est important! J’ai pas un meuble plus jeune que 1950. Mes deux chaises de barbiers ont 100 et 105 ans.»
 

​Crédit : David Afriat

Est-il plus ciseaux ou rasoir?
 
«Rasoir! Ciseaux j’en fais, mais je ne coupe pas les pointes. J’ai des posters dans mon barbershop et si le client veut quelque chose qui n’est pas là, ben qu’il décalisse!», dit-il en riant.

 «Je leur dis de la même façon que je te le dis. Les gars, c’est de même. Faut leur dire les vraies affaires. De toute façon, mes coupes sont écœurantes et je leur dis : «Mon gars, avec cette coupe, c’est clair que tu vas te faire sucer à c’soir» et c’est tout ce qu’ils veulent entendre!»

C’est crissement vendeur!

«C’est pas moi qui le dis! Ce sont mes clients qui en parlent entre eux dans le salon et c’est vrai que les filles veulent que leur gars ait l’air sharp».

Et il y en a combien de posters sur les murs?

«Deux!»
 
On s’esclaffe.
 
«Okay okay, disons que je fais environ douze coupes. Et c’est pas mal l’essentiel que tu vas retrouver un peu partout, avec quelques dérives selon les préférences.»
 
Il faut comprendre que le salon de Franz n’est pas pour tout le monde! Il faut laisser ses préjugés à l’entrée et rester franc.
 
«Je parle pas de ma vie quand je coupe des cheveux! Je laisse parler les gars et je les écoute. Le set-up de mon bar est fait pour favoriser la discussion entre les gars, c’est super important. Entre la job et la maison, la plupart des hommes n’ont pas de place pour relaxer. Le fait qu’il n’y ait pas de filles et quand les gars ont plein de mousse dans face, ben ils peuvent dire n’importe quelle niaiserie.»
 
Cru et right to the point, Franz vit le quotidien des mineurs du nord.

«J’entends souvent des : "coupe-moi les cheveux faut que je décalisse " ou des gars qui sortent de prison et qui veulent avoir l’air clean pour se trouver une fille. Ma clientèle est celle-là et j’ai dû m’adapter à elle. C’est vraiment une place de gars. On met pas les filles à la porte, mais elles préfèrent aller se promener que de rester», conclut-il.
 

​Crédit : David Afriat

Franz a aussi un parcours atypique.
 
«La première fois que j’ai pensé ouvrir un barbershop, j’avais 16 ans. Je me suis fait mettre en dehors de l’école parce que j’avais volé un examen du ministère et ma blonde (ex) m’avait dénoncé. J’étais barré et ne terminerais jamais mon secondaire. »

Il est un peu gangster notre barbier. Après avoir manqué ses études, il a fait un DEP en coiffure, mais est finalement allé en restauration pendant plusieurs années.  Avant de venir s’installer à Rouyn pour fonder son salon, il a travaillé 4 ans au Japon dans un restaurant 4 étoiles.
 
«Quand tu as 40 ans en cuisine, soit tu n’es pas bon et tu n’a rien compris, soit tu étires. J’ai décidé d’arrêter et de changer de carrière».
 
Et je lui demande si son concept de rockabilly authentique fonctionne bien à Rouyn?

«Ça fiterait partout, parce que ça reste du service à la clientèle de qualité. Mais ce qui se passe à Rouyn, c’est qu’il s’agit d’une capitale culturelle non conventionnelle.  Tout le monde – artistiquement – regarde dans le même sens, même si on croit que Rouyn est perdu dans le bois. On a des shows punk, des shows métal, les plus gros mushpit du nord de Montréal et il y a aussi le FME.»

Venons-en au FME.
 
En quoi le festival change le paysage de la ville?

«Toute la ville devient un party et embarque dans cette folie du FME pendant 96 heures. Il y a une armée de bénévoles et le festival gagne des prix (Felix) chaque année. Ça change la ville!»
 

​Crédit : David Afriat

Et sinon, ça fait longtemps que le barbershop est sur pied?

«J’ai commencé il y a un peu plus d’un an dans ma salle de lavage, dans mon appartement. C’était minuscule. Un moment donné, j’ai eu trop de clients. On s’est trouvé un local au deuxième étage avec plein de fenêtres et personnes pour regarder au travers, alors on reste intime. Ça va faire un an en octobre.»
 
Quand Franz a fait son étude de marché, Rouyn ne possédait que trois salons de barbiers. Aujourd’hui, Franz possède l’un des deux seuls barbershop encore ouverts. Son concurrent, M. Kingsburry, a 76 ans et n’a pas de relève.
 
« Il y a des coiffeurs et des coiffeuses, mais ça manque de place de gars et c’est ça, un barbershop. Je m’inscris dans un contexte de rareté et je maintiens mon drapeau debout. Je ne fais aucun compromis.»
 
Tout le temps plein, ouvert 6 jours par semaine avec 30 clients par jour, Franz est très occupé.
 
Mais en un an, tout roule pour Franz. «Dans la vie, je voulais faire 10 coupes de cheveux et rentrer chez moi tranquille, mais tout fonctionne trop bien. Je voyage un peu partout, mon salon roule très bien et j’ai même été invité à Ottawa le mois prochain au Parlement pour couper des cheveux.»
 
Comme quoi, avoir un salon de barbier « authentique » porte ses fruits.
 
«Je t’ai pas dit d’où vient le nom du salon?»,  me demande Franz.
 
Franz Authentischen Barbier est un nom allemand, m’explique-t-il. Franz pour son propre nom, Barbier parce que barbier, tsé, et Authentischen est le mot « authentique » en allemand.

«Ce qu’il faut comprendre, c’est que Rouyn est une ville minière et qu’à l’époque, il n’y avait aucun mineur canadien-français. Ce sont les Européens qui fuyaient l’Europe (Ukrainiens, Russes, Polonais) qui venaient travailler dans les mines. Au lieu de les appeler les foreigners, les gens de Rouyn les appelaient les Fro! Ils avaient aussi des commerces en ville. Tu savais que c’était un boucher, mais c’était écrit dans leur langue alors tu ne comprenais pas vraiment. L’histoire, c’est que je ne viens pas de Rouyn, mais d’une autre petite ville. Je suis donc un Fro. J’ai donc mis un nom anglais et allemand et le monde de la place comprend le clin d’œil et ma démarche artistique.»
 
Si vous allez à Rouyn dans le cadre du FME ou pour n’importe quelle autre raison, arrêtez-vous donc pour saluer Franz dans son barbershop et les gars qui vont s’y faire une coupe. Ou profitez-en pour aller prendre une bière avec lui à la Brasserie le Trèfle Noir, juste à côté de son salon. C’est un gars vraiment sympa.

Cheers!

Franz Authentischen Barbier
147-C, Avenue Principale, Rouyn, QC J9X 4P3

Festival de Musique Émergente
1er au 4 septembre 2016 à Rouyn-Noranda

Crédit : David Afriat
Plus de contenu